CASTRES

L’ ORGUE de SAINT-JACQUES de VILLEGOUDOU




Composition actuelle de l’orgue : 26 jeux


Grand orgue 54 notes

Récit expressif 54 notes

Pédale 30 touches




Boudon 16’

Gambe 8’

Flûte 16’

Bourdon 8’

Voix Céleste 8’

Flûte 8’

Montre 8’

Cor de Nuit 8’

Bombarde 16’

Salicional 8’

Flûte harmonique 8’

Trompette 8’

Prestant 4’

Flûte octaviante 4’


Quinte 2’ 2/3

Octavin 2’


Doublette 2’

Cornet V


Tierce 1’ 3/5

Hautbois 8’


Plein-Jeu II-III

Trompette 8’


Euphone 16’ (disparu)

Cromorne 4’ (déplacé au GO)


Trompette 8’

Voix Humaine 8’


Clairon 4’




Accouplement Réc/GO
Tirasses GO et Récit
Appel Anches GO (désactivé)
Boite expressive du Récit  à bascule


Un orgue bien singulier…


A première vue, l’orgue de Saint-Jacques ne présente rien de bien exceptionnel pour la facture d’orgue française. C’est un instrument de moyenne importance assez banal. Cette première impression est vite balayée par de nombreuses questions qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes. Prenons par exemple le clavier de Récit où s’entassent des jeux si disparates que leur présence ne relève assurément pas d’un équilibre sonore réfléchi mais plutôt d’une cohabitation imposée ! Pourquoi cette bizarrerie ?

De même pour la composition de l’orgue qui possède 27 jeux (en fait 26) répartis sur 2 claviers-pédalier alors qu’en 1932, on le présentait comme un orgue de 32 jeux répartis sur 3 claviers-pédalier avec une traction assistée par une machine Barker? On pourrait douter qu’il s’’agisse du même instrument ! Alors, n’aurions-nous pas manqué quelques épisodes de la saga de l’orgue de Saint-Jacques ?

L’absence de contrats, devis ou éléments de composition de l’orgue ne facilitait pas la tâche pour expliquer comment un clavier complet, plusieurs jeux et la Barker avaient pu s’envoler sans laisser de trace. Suivre pas à pas les péripéties de l’instrument nous a conduits à formuler des hypothèses qui n’engagent que nous.

Une histoire d’orgues …

Avant le 4 septembre 1862, il n’est fait aucune mention d’un orgue à Saint-Jacques. C’est à cette date que le conseil de fabrique décide de faire construire un orgue neuf. Le projet initial retient pour la construction du buffet M. Estadieu, menuisier de son état et pour la partie instrumentale (mécanisme et tuyauterie) Prosper Moitessier facteur d’orgues établi à Montpellier.

La renommée de Moitessier (1805–1869) est grande dans ce sud de la France où il a construit bon nombre d’instruments (Forcalquier, Sète, Tarascon, Martigues…) avec comme chef d’œuvre le grand orgue de la Dalbade à Toulouse. Moitessier était donc bien placé pour savoir que le conseil de fabrique de la Dalbade cherchait à se débarrasser de l’ancien orgue construit par Jean-Baptiste Micot en 1760, devenu inutile et remisé depuis longtemps dans un coin dans l’attente d’un acheteur potentiel. Le curé de Saint-Jacques averti de cette mise en vente y vit une opportunité et s’en porta acquéreur. Le conseil de fabrique de Saint-Jacques qui avait réuni la somme de 28 000 francs grâce aux dons et quêtes confia l’ensemble du chantier à Moitessier.

XVIIème siècle : l’orgue de La Dalbade

L’ancien orgue de la Dalbade datait de la première moitié du XVIIème siècle avec un buffet en un seul corps : un frère Castaing, organiste à Tulle y avait fait des travaux en 1644. C‘est ce même buffet que nous pouvons encore admirer à Saint-Jacques. Il est composé de trois tourelles pourvues de cinq tuyaux écussonnés et de deux plates-faces. Les tourelles sont ornées de motifs en feuillages retombant de chaque côté du buffet. Des anges musiciens ornent le haut des tourelles extérieures, et la tourelle centrale portait un vase d’où débordaient des guirlandes de fleurs.



XVIIIème siècle : L’orgue classique de Jean-Baptiste Micot



Composition de l’orgue Micot 


Positif

50 notes


Grand-Orgue

50 notes


Récit

27 notes


Pédale

24 touches





Bourdon 8’

Bourdon 16

Cornet V

Flûte 8’

Prestant 4’

Montre 8’

Trompette 8’

Flûte 4’

Flûte 4’

Bourdon 8’


Trompette 8’

Nazard 2’2/3

Prestant 4’


Clairon 4’

Doublette 2’

Gros Nazard 5’1/3



Tierce 1’3/5

Grosse Tierce 3’1/5



Larigot 1’1/3

Nazard 2’2/3



Fourniture

Doublette 2’



Cymbale

Quarte de Nazard 2’



Cromorne 8’

Tierce 1’3/5




Fourniture




Cymbale




Cornet V rangs




Trompette 8’




Voix humaine 8’




Clairon 4’




Accouplement à tiroir Positif / Grand Orgue
Tremblants



Ce magnifique buffet abritait un instrument de Jean-Baptiste Micot reçu en 1760 dont il donne la composition dans son inventaire des orgues de Toulouse (1796) « En tout 31 jeux de la plus parfaite harmonie » reconnaît-t-il avec une fierté non dissimulée !

Le grand orgue était construit à l’aplomb de la tribune. Micot proposa d’agrandir l’instrument en construisant un positif devant le soubassement du grand orgue. La console de l’orgue était donc au dos du buffet (disposition qu’il reproduira à l’identique sur l’orgue de Vabres-l’Abbaye avec la même palette sonore).

XIXème siècle : L’orgue de transition de Prosper Moitessier 1863

Prosper Moitessier va adapter ce buffet à la tribune plus exigüe de Saint-Jacques de Villegoudou : il n’a pas d’autre choix que de tronquer le buffet et réaménage entièrement l’instrument ; il place le positif de Micot en positif de dos séparé du corps principal et l’encastre dans la balustrade en position anormalement basse (ce qui aurait causé une gêne visuelle et acoustique en masquant une partie du grand orgue). Puis il place une nouvelle console sous la tourelle centrale dans le soubassement du grand orgue.

Il réutilise peut-être les claviers du Micot qu’il replaque et complète leur étendue, refait des sommiers neuf, ainsi que toute la mécanique, la soufflerie, et l’ensemble de la tuyauterie tout en réutilisant des tuyaux de l’ancien orgue. Il met un pédalier droit à l’allemande de 25 marches à la place du pédalier à la française malcommode et inadapté.

Quant au positif de dos, qui aujourd’hui n’a plus qu’une fonction décorative, il était muni d’un sommier, de jeux et donc, logiquement d’un clavier !

Pour en retrouver la trace, il faut regarder attentivement la console en fenêtre. On remarque qu’elle a subi d’importantes modifications encore visibles : le premier clavier est actuellement celui du grand orgue avec au-dessus de lui le clavier de Récit. Mais cette disposition n’est pas celle d’origine.




L’emplacement d’un troisième clavier est visible au-dessus des bras du clavier de Récit (rainures noires sur la photo).De part et d’autre des claviers, la disposition des registres est éloquente et confirme l’existence du troisième clavier : en bas, deux panneaux occultent les jeux du positif qui sonnaient sur le premier clavier. Au-dessus, les 4 jeux de pédale, puis les 12 jeux du grand orgue et les 8 jeux du Récit. Tout en haut, on aperçoit les 3 jeux rajoutés en dernier.




Console côté gauche



Console côté droit


Une fois les deux panneaux retirés, on voit les trous de 10 tirants ronds correspondant aux jeux du positif et aux accessoires (tremblant Pos et peut-être appel des anches GO).

On peut en conclure que les jeux de l’orgue de Moitessier étaient distribués à la console de la façon suivante :


Troisième clavier

Récit

3 jeux

Deuxième clavier

Grand-orgue

12 jeux


Pédalier

4 jeux

Premier clavier

Positif de dos

8 jeux




Cette disposition qui est celle de l’orgue classique demeure une constante dans l’orgue de transition, qui, comme son nom l’indique, est à cheval entre l’orgue classique français et les innovations qui mèneront à l’orgue symphonique.

Trois autres éléments confirment l’hypothèse du clavier de positif puisque nous avons la console surélevée pour laisser passer la mécanique foulante du positif. La présence d’un cromorne, jeu spécifique à ce clavier (il est en 4’ pour ne pas dépasser du buffet avec les basses du bourdon postées). Enfin, Moitessier construit une pédale avec fonds et anches de 16’ pour donner une assise au grand plenum des claviers accouplés : Il ne l’aurait pas fait avec le seul clavier de grand orgue.

La disposition des jeux du grand orgue est typique de la facture Moitessier avec toujours un cornet de V rangs destiné à éclairer la batterie d’anches (ce Cornet a été supprimé et remplacé par une Tierce peut-être bricolée à partir des rangs du plein-jeu supprimés).

On peut donc affirmer, fort heureusement pour nous, que les jeux et les sommiers de pédale et du grand orgue n’ont pas subi de transformations majeures depuis l’origine.


Essai de reconstitution de la composition d’origine de l’orgue :


Composition de l’orgue Moitessier : 27 jeux


Positif

54 notes

Grand Orgue

54 notes

Récit expressif

30 notes

Pédale

25 touches





Bourdon 8’

Boudon 16’

Flûte 8’

Flûte 16’

Montre 4’

Bourdon 8’

Flûte 4’

Flûte 8’

Flûte 4’

Montre 8’

Hautbois 8’

Bombarde 16’

Nasard 2’ 2/3

Salicional 8’


Trompette 8’

Doublette 2’

Prestant 4’



Tierce 1’ 3/5

Quinte 2’ 2/3



Plein-Jeu III

Doublette 2’



Cromorne 4’

Plein-Jeu V




Cornet V




Euphone 16’




Trompette 8’




Clairon 4’




Copula Pos/GO et Réc/GO
Tirasse GO Appel / Renvoi Anches GO (Appel / Renvoi Anches Péd ?)
Expression récit par cuillère
Tremblant Pos / Trémolo Récit

Moitessier livre ainsi un grand 8 pieds à traction mécanique dont la composition de 27 jeux était répartie sur trois claviers manuels et un pédalier indépendant.


L’orgue fut réceptionné le 23 juillet 1864, par une commission qui réunissait Leybach, organiste de la cathédrale de Toulouse, Scheurer, organiste de la cathédrale de

Carcassonne et Justin, organiste de la cathédrale de Castres.

XXème siècle : L’orgue restauré en 1917 puis agrandi par Puget en 1932

Après un demi-siècle, l’instrument avait besoin d’être restauré. Le chanoine Serres, curé de la paroisse contacte la maison Puget de Toulouse qui entreprend des travaux de restauration en 1917 qui furent renouvelés l’année suivante à cause de l’explosion de l’arsenal.

Le manque d’étendue du clavier de Récit et sa composition devait laisser perplexe  plus d’un organiste ! L’heure était au récit symphonique ce qui manquait cruellement au Moitessier … il fallait impérativement le mettre au goût du jour. Pour ce faire, Puget doit résoudre un problème d’espace très réduit sous la voûte. Comment placer un sommier de 54 notes dans un mouchoir de poche ? Comme c’est impossible, il fait deux sommiers ; le premier de 42 notes à 8 registres qu’il construit en double mitre. Le second de 12 notes pour l’octave grave qu’il met judicieusement en arrière du grand orgue sur un sommier pneumatique indépendant. Il complète ou change le clavier de Récit, dote l’orgue d’une soufflerie électrique, et d’une machine Barker pour faciliter le jeu des claviers accouplés. Il change aussi le pédalier qu’il étend à 30 touches avec les 5 dernières actionnées par les tirasses. Voilà de quoi redonner le sourire à l’organiste titulaire !

Dans cette hypothèse, on pourrait à juste titre nous reprocher que les tuyaux de gambe 8’, trompette 8’ ou encore de voix humaine 8’ ne sont pas de Puget mais bien de Moitessier.

Il faut se rappeler que Théodore Puget avait appris la facture auprès de Moitessier et à la mort de ce dernier, c’est vraisemblablement la manufacture Puget qui récupéra le matériel ainsi que la maintenance de bon nombre d’instruments. Quand Puget reconstruisit l’orgue Moitessier de La Dalbade, il supprima le positif de dos et réutilisa une partie de la tuyauterie de Moitessier dans un orgue neuf qu’il venait de construire à Albi : l’orgue de La Madeleine. Il était donc facile pour Puget de récupérer des jeux provenant d’orgues de Moitessier qu’on lui demandait de transformer selon la nouvelle esthétique.

Essai de reconstitution de la composition de l’orgue :


Composition de l’orgue complété par Puget : 32 jeux


Positif

54 notes

Grand Orgue

54 notes

Récit expressif

54 notes

Pédale

30 touches





Bourdon 8’

Boudon 16’

Gambe 8’

Flûte 16’

Montre 4’

Bourdon 8’

Voix Céleste 8’

Flûte 8’

Flûte 4’

Montre 8’

Flûte 8’

Bombarde 16’

Nasard 2’2/3

Salicional 8’

Flûte octaviante 4’

Trompette 8’

Doublette 2’

Prestant 4’

Octavin 2’


Tierce 1’3/5

Quinte 2’ 2/3

Basson-Hautbois 8’


Plein-Jeu III

Doublette 2’

Trompette 8’


Cromorne 4’

Plein-Jeu V

Voix Humaine 8’



Cornet V




Euphone 16’




Trompette 8’




Clairon 4’









Accouplement Pos/GO et Réc/GO (par machine Barker)

Tirasses GO et Récit / Appel et renvoi Anches GO  (Appel / Renvoi Anches Péd ?)
Boite expressive du Récit  à bascule
Tremblant Pos / Trémolo Récit



L’orgue fut inauguré en grandes pompes le 28 février 1932 par Léonce de Saint-Martin, en présence de Monseigneur Cézérac. Saint-Martin, l’enfant du pays, succèdera à Louis Vierne à Notre-Dame de Paris après avoir été son suppléant.

XXème siècle : après 1932…dernières transformations

Grâce à la manufacture Puget, l’orgue aura été restauré, entretenu puis agrandi durant l’entre-deux guerres. Mais après ces travaux Maurice Puget ne semble plus intervenir sur l’orgue. On ignore qui est chargé du contrat d’entretien. En 1934, un certain Henri signe au dos de la boîte du Récit.

A une date inconnue, peut-être juste avant la dernière guerre mondiale, l’orgue va subir d’importantes modifications dont les motivations restent mystérieuses ; imaginons que certains fidèles se plaignent de la trop grande puissance de l’orgue et ce ne serait pas la première fois : «  Saint-Jacques n’est pas une cathédrale…avait-on besoin de tous ces jeux ? L’organiste joue trop fort ce qui nuit à la prière des fidèles ! »...Peu importe les arguments avancés…la décision est prise de réduire l’instrument.

Le buffet du positif est alors vidé de ses tuyaux, détruisant à jamais un équilibre sonore que Puget avait sauvegardé (l’Euphone de 16’ du grand orgue disparaîtra peut-être à cette occasion). Le facteur cherche à réutiliser ce qui peut l’être…il rajoute 3 registres au Récit sur sommier pneumatique de 54 notes, et redistribue les jeux du récit avec récupération de certains jeux du Positif.

Le clavier de récit est alors enlevé pour ne garder que les deux claviers inférieurs qui vont changer de destination pour devenir ceux du grand orgue (à la place du positif de dos) et du récit (à la place du grand orgue).

L’instrument, amputé d’un de ses claviers n’a plus besoin de l’assistance de la machine Barker qui est supprimée. On en arrive à la composition que nous lui connaissons (par la suite quelqu’un déplacera le cromorne sur la chape vide de l’Euphone de 16’).

L’instrument est aujourd’hui dans un état inquiétant.... le buffet est mangés aux vers ce qui condamne cet orgue à une disparition programmée si on ne fait rien pour le sauver.

XXIème siècle : Quel avenir pour l’orgue ?

Cet orgue a suscité dernièrement un fort regain d’intérêt de la part de musicologues à la recherche de traces du Micot de 1760. En rester là, risquerait de faire passer à la trappe le nom de Moitessier qui, s’il réutilise bien des éléments de Micot, livre un orgue qui porte sa seule signature.

En conclusion, voilà un buffet d’orgue dont le grand corps du XVIIème siècle et le positif de dos du XVIIIème gagneraient à retrouver leurs ors et couleurs d’origine. Pour la partie instrumentale, l’orgue de Moitessier de 1863 mériterait une restauration complète qui tienne compte des ajouts de 1932 de Puget qui n’ont pas dénaturé l’instrument de ce grand facteur. La Ville de Castres peut donc s’enorgueillir de posséder un instrument rare, témoin exceptionnel de la facture de transition à son crépuscule. Si l’on veut sauver de la ruine ce qui fut peut-être le dernier grand Moitessier, il va falloir au plus vite engager une course contre la montre afin de sauver ce trésor du patrimoine régional et national !

Souhaitons qu’au plus tôt, l’orgue retrouve sa voix et ré-enchante la belle église de Saint-Jacques de Villegoudou.


Benoit Tisserand


Le 20 juin 2012

Documents complémentaires :
Fonds Puget (médiathèque de Lavaur)
Archives diocésaines d’Albi
Plaquette sur l’église Saint-Jacques de Villegoudou
Philippe Bachet : orgues en Midi-Pyrénées
Formantelli : expertise de l’orgue de Saint-Jacques (2010)
Franz Lefèvre : descriptif de l’orgue de Saint-Jacques (2012)
Nicole Gros : les sieurs Micot, facteurs d’orgues des Lumières

Sur le web, nombreuses notice d’orgues :

Eric Andanson : article intéressant sur l’orgue de transition dans Orgue de la Décanale Saint Louis de Sète
Sur Prosper Moitessier : http://www.lapasserelle.com/Prosper_Moitessier.html
Biographie de  Moitessier:  http://lapasserelle.com/bio_moitessier.htm
Orgues en France et dans le monde : http://orguesfrance.com/France.html